Ahimsa, la non-violence

Philosophie du Yoga 1.03

(Trucs & astuces : si tu manques de temps, plutôt que de lire tout cet article, dirige-toi directement à la dernière ligne, où t’attend un brillant résumé. Ne nous remercie pas : on est comme ça !)

Ahimsa… ?
Le Yoga indique le chemin pour atteindre le Samadhi, le nirvana de la discipline (comme évoqué dans ce récent post), une version des douze travaux d’Hercule moins douloureuse pour l’adepte en somme. Même sans chercher à atteindre cet objectif, le Yoga propose une structure de vie qui permet de la rendre meilleure, pour nous et pour les autres.

Les fameux Yama (devoirs moraux) sont la pierre angulaire de la discipline. (Les étapes supérieures ne s’ouvrant qu’une fois que le corps et l’esprit sont purifiés, et que l’énergie circule librement à tous les étages.) Le tout premier de ces devoirs est Ahimsa, la non-violence. Ce premier Yama pourrait ne guère nécessiter d’explications (cf. le brillant résumé de bas de page !). Pour autant, une vie entière ne suffirait pas à faire le tour de cette notion, et comme on est bavardes, on va vous en donner quand même !

Un peu de sémantique (parce que c’est fantastique)
À l’évocation de cette notion, les portraits de Gandhi, Martin Luther King, Léon Tolstoï ou encore William Lloyd Garrison surgissent à l’esprit. Ces leaders de révolutions passives ont répandu à travers le monde une forme de contestation politique, puissamment transformatrice (et on aime ça la transformation en Yoga, sinon on n’en ferait pas). Cette non-violence est avant tout une attitude qui a pour postulat de reconnaître que nous sommes naturellement violents mais que nous pouvons utiliser l’énergie de ce potentiel agressif pour lutter contre les conflits et injustices. On pourrait résumer par la formule « ni hérisson ni paillasson ! »
Avant d’aller un schmurtz plus loin, rappelons que la violence est omniprésente dans la nature : pour survivre, l’individu doit se battre pour maintenir son intégrité physique, imposer son statut dans le groupe, et tuer pour se nourrir. La question pour nous, êtres évolués, est de savoir comment s’affranchir de cette violence, puisque nos sociétés visent à l’épanouissement de chacun de ses individus.
Revenons-en à nos moutons : la non-violence, c’est avant tout le respect de soi et d’autrui. Cela consiste évidemment à ne pas tuer, ne pas blesser d’êtres vivants en pensées, en paroles et en actes (directement comme indirectement). Le mot Ahimsa désigne « l’action ou le fait de ne causer de nuisance à nulle vie », himsa signifiant « action de causer du dommage, blessure » et a- étant le préfixe privatif que l’on connaît bien (coucou les langues indo-européennes). La non-violence a été appréhendée par de multiples religions : elle est une composante importante de l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme dans lesquels le Yoga plonge ses racines. Plus proche de nous, elle est omniprésente dans le Christianisme. Elle est interprétée de diverses manières, le plus souvent comme une forme de relation pacifique avec le vivant. C’est sur cet aspect spécifique de bienveillance que nous avons choisi de porter notre attention (il s’agissait de faire des choix !)

Ahimsa, ça commence à l’intérieur
Cette première règle de la philosophie du Yoga est généralement associée à la mise en place d’une alimentation végétarienne, voire végétalienne. (Dans certaines écoles ou lignées de yoga, le végétarisme est un pré-requis.) Notre alimentation a inévitablement un impact sur le monde : le fait de consommer de la chair animal, donc de tuer un être vivant pour assurer sa propre survie pose la question de notre présence et de notre rapport à la nature. Si je pense en terme égotique, peu importe ce que je fais, ce que je mange, la façon dont je vis TANT que je vis. Mais plus j’affine mon rapport à l’univers et la vie, plus je prends conscience de ma place dans cette ronde, et plus je risque de m’interroger sur les choix que je fais en terme de survie justement. Dans ce cas, la question du véganisme pointe rapidement le bout de son nez. En effet, LA grande différence entre végétarien et végane est que là où le premier se contente de supprimer la viande de son alimentation (pour des raisons éthiques, de santé, ou de morale), le second s’oppose à toute forme de discrimination et de domination d’une espèce sur une autre, supprimant par là même tout produit découlant d’un asservissement de l’animal. Or, lorsque l’on érige la non-violence comme premier pilier de sa philosophie de vie, n’est-il pas cohérent de souhaiter supprimer tout aliment (et tout article de consommation) relevant de l’exploitation animale et donc, générateur de souffrance ?
À méditer…

Vous savez maintenant tous que le végétarien ne consomme pas de chair et que le végétalien se passe de TOUT ce qui est d’origine animale (en allant de la viande aux œufs, en passant par les produits laitiers, le miel, le cuir… etc.)

Ok pour la bouffe. Mais il n’y a pas que ça dans la vie (Repose ce cookie !!!)

Food for thoughts now…
Ahimsa, ça passe aussi par la façon dont tu alimentes (on file la métaphore, on est des dingues) ta petite voix intérieure.
Quand on commence à s’intéresser à ce qu’on se dit à soi-même toute la journée, il y aurait de quoi flipper ! Il ne nous vient pas tellement à l’esprit de juger en permanence notre entourage, plus ou moins proche, de dire aux personnes qui nous entourent qu’elles sont nulles, ne font pas assez, pas assez bien, qu’elles sont grosses, moches. (Si tu n’es pas d’accord avec cette affirmation, il y a peut être un truc à creuser…)
Jack Kornfield dit à ce sujet : « Quand nous focalisons notre attention sur le processus de pensée, une dimension de l’existence totalement différente devient visible. Nous voyons de quelle façon notre courant de pensée, ridicule et répétitif, construit continuellement le sentiment limité que nous avons de nous-mêmes, avec ses jugements, ses défenses, ses ambitions et ses compensations. Quand tout cela n’est pas examiné, nous y croyons. Mais si quelqu’un nous suivait pas à pas et murmurait sans cesse nos propres pensées, nous en aurions rapidement assez. Et s’il continuait, nous serions consternés par ces constantes critiques et craintes, puis en colère parce qu’il ne voudrait jamais la boucler. Pour finir, nous pourrions simplement conclure qu’il est fou.
Et pourtant, c’est ce que nous nous faisons à nous-mêmes ! »

Nous nous formulons à peu près 17000 pensées chaque jour…

Oui 1.7.0.0.0 ! Peu ou prou.

Heureusement, sur le lot, toutes ne sont pas négatives (sinon, il y aurait tout de même de quoi péter sérieusement un câble !) Mais quand on sait qu’on est notre pire juge, tortionnaire, tyran (barrer les mentions inutiles), il est sûrement temps de changer de modus operandi et rendre notre espace intérieur un peu plus sain.
La non-violence, cela passe donc aussi par un travail sur ces pensées négatives et limitantes. Que pouvons-nous faire chaque jour pour être un peu plus sympa avec nous-même ? Comment faire pour ralentir le flot de pensées qui traversent notre esprit ? En commençant par nous encourager quand nous devons faire quelque chose qui nous est difficile, formuler quelques félicitations quand nous terminons une tâche. Nous pouvons aussi choisir de nous complimenter sur notre physique plutôt que de faire des reproches à notre corps, et nous trouver pour la énième fois trop-ci, pas assez ça.

Avec un peu de discipline, se rééduquer est simple : il suffit de s’accorder 5 minutes par jour pour apprendre à se concentrer sur autre chose que ses pensées. On s’assoit le dos droit et on se concentre sur le souffle qui va et vient en revenant vers la respiration dès qu’une pensée nous entraîne ailleurs.

Ahimsa, ça se poursuit à l’extérieur
Sur le tapis…
L’objectif de la pratique des asanas est de déverrouiller le corps, le libérer de ses tensions afin de pouvoir rester assis (longtemps) dans une posture méditative (comme évoqué ci-dessus… Oui, tu es attentif ^_^). Petit à petit, on trouve plus de souplesse, plus de force et surtout plus de confort dans son corps. L’entraînement répétitif implique de refaire les mêmes postures, les mêmes séquences (surtout si on a choisi de pratiquer l’Ashtanga Vinyasa ou si l’on est adepte d’une école Sivananda !)
Un autre aspect de la pratique, sans que l’on en ait tout à fait conscience, est que l’on vient se confronter à son corps et au passage à son ego. Là où le corps va, le mental et son package l’accompagnent (Et là, c’est le drame.) Le corps, bien sagement, exécute les postures commandées par le cerveau, faisant ce qui est accessible (cela reste aléatoire : notre sommeil, alimentation, état de santé général et de stress en particulier, sont eux aussi de la fête, sans qu’on ait eu l’impression de les convier !), et notre mental profite de l’occasion pour s’en mêler. La pratique du yoga devient le théâtre d’un combat entre nos capacités physiques (du moment) et notre volonté qui a tendance à vouloir vivre sa vie toute seule dans son coin. Quand s’étirer, se renforcer, progresser relèvent de la discipline ; forcer, chercher à atteindre l’inatteignable, faire fi de sa douleur relèvent de l’ego et de la violence (CQFD, sans déc’ !) Les pratiquants assidus ont sûrement tous un jour été confrontés à cette petite voix, cette volonté (idiote ?) qui propose de pousser un peu pour progresser plus vite, en totale méconnaissance de leurs propres capacités (et créant la conjoncture parfaite pour que la blessure ait lieu!)

Est-il utile de rappeler encore que le travail postural ne connait pas de limites ? Qu’il y aura t.o.u.j.o.u.r.s. une posture supplémentaire. Et que, si l’on triture notre corps dans tous les sens avec les asanas, c’est simplement pour le préparer à S’ASSEOIR !!
Un « bon » yogi ne se mesure donc pas à ses prouesses (non non).

Kino MacGregor : super yogi et pourtant pas très douée en asanas.

Ok, ça c’est pour la théorie. Mais dans la vraie vie, on aspire souvent à mieux, à plus joli, à plus fort. Notre ego a soif de coller à l’image des yogis-contorsionnistes qui étalent à longueur d’année leurs corps magnifiques et puissants sur les réseaux sociaux. Et évidemment, on a parfois du mal à raisonner et se dire qu’une grande partie d’entre eux pratique depuis dix (quinze ? vingt ?) ans ; ou bien a un passé de gymnaste/danseur… Bref, il est tentant de « forcer » et de ne pas se respecter pour faire comme ceux dont on admire la souplesse et les postures dignes des magazines.
Il devient alors difficile de différencier ce qui relève de la violence et ce qui relève de la discipline (tapas, qui fera l’objet d’un prochain post). S’exercer dans le respect d’Ahimsa, ce sera donc trouver ce juste équilibre entre une pratique challengeante (oui ce n’est toujours pas un mot, mais bon…) et l’écoute attentive des messages envoyés par le corps.
Là démarre le véritable Yoga, puisqu’on cale sa pratique sur le tout premier yama, ahimsa, et qu’on choisit de s’écouter (ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on ne tente jamais rien et qu’on arrête dès que ça devient un tantinet difficile !) Samadhi ça se mérite quand même !

Dans la vie…
Un grand chevelu qui adorait déambuler en robe aurait dit un jour : « Aime ton prochain comme toi-même. »
Et si dans nos rapports aux autres, le respect et la bienveillance (on les retrouve tout bêtement partout, dans toutes les religions, philosophies, cultures) semblent des bases évidentes de vie en société, l’application de cette loi universelle est malheureusement plus que difficile.

Si tu cliques sur ce lien tu pourras lire une légende hindoue qui raconte pourquoi le rapport aux autres est si compliqué !

Si les rapports humains étaient simples, les psys n’auraient pas de travail (et nous non plus). Pour aider à ramener un peu d’humanité dans nos interactions, plusieurs théories ont pu voir le jour. Parmi elles, la Communication Non-Violente de Rosenberg fait directement référence au mouvement de Gandhi et a pour principe, notamment, de permettre à l’individu de se mettre en lien avec soi et les autres, à partir de son cœur, et d’acquérir la force de créer des structures permettant de soutenir cette façon de (se) donner.

Ses principes de communication se fondent sur quatre éléments :
1/ O pour Observation : observer mais ne pas faire de jugement de valeur.
2/ S pour Sentiment : exprimer ses ressentis, ses souffrances.
3/ B pour Besoin : dire à l’autre ce dont on a besoin. (Le sentiment est le précurseur d’un besoin qui se trouve assouvi ou non assouvi.)
4/ D pour Demande : en faire une demande claire, explicite, identifiable.

Mise en pratique pour les nuls
Brossons le tableau. On est samedi soir, tu es resté enfermé toute la journée, tu n’as qu’une envie : sortir, boire un verre, aller au resto, au ciné, au théâtre bref, voir le monde. Ton mec/ta meuf/ ton coloc/ton chien rentre et te dit qu’il a très envie de chiller. Mode frustration : ON.
Forcément, vu que tu n’as pas (encore) lu cet article Rosenberg, tu ne dis rien, laisse la pression monter et attends patiemment que l’adversité comprenne comme une grande que tu voulais faire autre chose. En d’autres termes, tu fais la gueule et tu pourris en bonne et due forme le début de soirée.
Mais ça pourrait se passer autrement…
1/ L’adversité a dit qu’elle voulait chiller. Elle n’a pas dit quand, elle n’a pas dit comment, elle n’a pas dit que c’était ça et rien d’autre.
2/ Tu es frustré parce vos envies semblent différer et que tu veux lui faire plaisir.
3/ Tu identifies ton besoin : étant resté enfermé toute la journée, tu ressembles à une cocotte minute sur le point d’imploser. Il est urgent pour ta santé que tu sortes ne serait-ce qu’un petit peu.
4/Tu proposes de sortir prendre l’air et rentrer après cette pause oxygène. Et qui sait, peut être que ton coloc/ton chien/ta meuf/ton mec (ou les quatre) sera partant pour cette virée.

Ça a l’air tellement simple sur le papier, et pourtant… Combien de disputes auraient pu être évitées si l’on avait communiqué selon ce principe ?! Si l’on n’avait pas considéré que notre interlocuteur se devait de lire dans notre esprit ? Il ne faut pas oublier que notre vision des choses n’est pas la carte du monde, que tout reste subjectif et donc variable d’un individu à l’autre. « Communiquer avec autrui, c’est lui exprimer notre modèle du monde. C’est aussi écouter ce qu’autrui exprime à partir du sien. Au fond, communiquer, c’est mettre en commun des portions de nos modèles de monde, en vue d’un partage et d’un enrichissement mutuel. » (source : Michel Facon)
Le yoga nous apprend l’observation : appliqué à la communication non-violente, c’est donc apprendre à laisser son ego de côté, prendre du recul et faire un pas vers l’autre en s’exprimant simplement. Rosenberg enfonce le clou en indiquant que ce sont « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant. » C’est le principe du donnant-donnant. Tu veux de l’Amour et de la Bienveillance, donnes-en autant !

En d’autres termes, Spread Love, et il te reviendra… (Tout est dit.)

 

Comments 1

  1. Super article qui traduit bien l’esprit dans lequel on doit pratiquer le yoga et comment il nous apprend, entre autres, à être bienveillants envers nous-mêmes !

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