Satya, la vérité

⌈Philosophie du Yoga 1.04⌋

Satya, la vérité, est le deuxième yama de la philosophie du Yoga. Dans les Yoga Sutras de Patanjali (un des textes de référence du Yoga), l’aphorisme II.36 s’y rapportant peut être traduit ainsi : « Celui qui est ancré dans la sincérité de ses actes verra le fruit de ses actions accompli. »
Dit comme ça, ça ressemble un peu à une phrase prononcée par le sage du jeu Les mystères de Pékin. Et comme on a encore un peu sept ans, on a décidé de mener notre petite enquête sur le sujet.

Pour commencer, on est en droit de se demander : qu’est-ce que la vérité ? (Vous avez quatre heures pour répondre à cette question.)

(Bonne chance…)

La définition même de vérité déchaîne les passions des philosophes depuis des siècles, parce qu’elle est sujette à de multiples interprétations (toujours inévitablement subjectives). Rappelons celle qu’en donne Le Larousse : « Caractère de ce qui est vrai ; adéquation entre la réalité et l’homme qui la pense. » (Aïe ! Tellement d’hommes différents sur cette Terre peut laisser supposer qu’il y a autant de vérités qu’il y a d’êtres.)

Quels sont les apports du Yoga sur le sujet ?

Pour le yogi, ou l’aspirant yogi, Satya consiste à être vrai, authentique, honnête et sincère.

Voilà pour la base. Assez naturellement, quand on pense vérité le terme communication surgit à l’esprit. Quand vous communiquez, vous êtes aussi bien émetteur que récepteur.
Sur le plan énergétique, la communication est gérée par le chakra de la gorge. Les roues que sont les chakras permettent la circulation de l’énergie dans les différentes couches de corps (dont nos corps physiques, énergétiques, émotionnels). Le chakra de la gorge (Vishuddhi ou Vishuddha) englobe la communication sous toutes ses formes (ce qui inclut donc au passage notre capacité d’écoute) ! Ce centre est le point d’extériorisation de tout ce que nous ressentons, et de tout ce qui nous tient à cœur : désirs, émotions, sentiments, raisonnements et questions. Ce chakra est celui de l’intégrité et de la justesse. Un chakra équilibré permet de penser ce que l’on dit, et d’agir de même.
Chaque mensonge, verbalisé ou non, obstrue ce chakra. Chaque fois que vous laissez une remarque passer sans réagir alors qu’il conviendrait de le faire, chaque fois qu’une situation vous bouleverse sans que vous puissiez identifier l’émotion qui monte en vous, alors le chakra laryngé s’engourdit un peu plus. Donc, pour que l’énergie circule librement à cet endroit, il faut apprendre à tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler (comme le rappelle le dicton), pour être sûr et certain de ne pas le faire à tort et à travers, mais aussi apprendre à se connecter à ce que l’on ressent (pour en savoir plus, cliquez ici : x).

Le verbe apparaît ici incontournable. Dans les Quatre accords toltèques, petit code de conduite de Don Miguel Ruiz très en vogue, on trouve des règles simples et puissantes pour atteindre la liberté personnelle et le bonheur véritable. Le premier de ces accords est : « Que votre parole soit impeccable ». Une fois encore, la façon dont nous communiquons pointe le bout de son nez : pour être libre et heureux, il semble qu’il faille en passer par une parole intègre, en ne disant que ce que l’on pense (cela ne signifie pas pour autant dire TOUT ce que l’on pense), et en n’utilisant jamais la parole contre soi ou autrui. Il est donc judicieux d’apprendre la modération dans ses propos : ne pas en dire trop, ni trop vite. Une règle assez simple à appliquer avant de parler (après avoir tourné sept fois la langue dans sa bouche donc) : « Réfléchissez avant de parler. » (Merci Gurudeva !) Cela peut nous éviter de prononcer des paroles inappropriées.

La parole se contrôle en deux temps : avant de parler, arrêtez-vous pour examiner ce que vous allez dire. Ensuite, vérifiez que vos paroles correspondent bien à ce qui est vrai, bon, utile et nécessaire.

Au passage, glissons que tout comme il faut penser les huit branches du Yoga comme un chemin à parcourir en respectant les étapes, les yama et niyama sont à considérer comme une échelle graduelle. Satya suivant Ahimsa (la non-violence) il faut savoir que la vérité entretient un lien avec cette première notion : la non-violence prime sur elle. Si la vérité risque de blesser profondément quelqu’un, alors notre devoir est peut-être de la garder pour soi. Le pouvoir du verbe sur le psychisme est conséquent : tout le monde a gardé en mémoire une phrase blessante d’un parent et en perçoit encore l’écho à l’âge adulte. La parole est un outil qui peut détruire. Ou construire. Les mots ont du poids, et forgent notre réalité.

Soit.

Une communication saine passe par une langue polissée, un choix des mots juste et bienveillant. Au passage, évoquons le mensonge (l’affreux, le vilain, l’honni) : depuis des siècles, nos sociétés s’intéressent à cette notion, pendant inverse de la vérité. Ainsi les grandes religions monothéistes l’abordent toutes : s’il peut être toléré dans certaines doctrines (dans le Judaïsme, il est accepté lorsqu’il est effectué avec une bonne intention, et qu’il reste sans conséquence), il est la plupart du temps perçu comme une faute, un péché qui, selon son importance, peut coûter l’accès au Paradis. A contrario, la vérité est alors perçue comme une vertu capable de « vous ⌈rendre⌋ libre » (selon l’évangile de Jean).
Progressivement, imperceptiblement, c’est davantage l’interdit du mensonge qui s’est inscrit dans l’inconscient collectif, dans la morale des sociétés, comme une faute indiscutable. Ainsi, peu importe l’endroit où vous êtes né, il y a fort à parier que, depuis votre plus tendre enfance, vous ayez entendu que mentir, c’est mal. Repensez à votre premier gros mensonge, vous éprouverez sûrement simultanément le sentiment de honte qui a accompagné la découverte du pot aux roses…
Dans nos sociétés, on a tendance à inculquer très tôt le caractère néfaste du mensonge (grosse louche de culpabilité en bonus), sans vraiment expliquer en quoi la vérité est importante. On se contente surtout de créer des valeurs ultra-négatives autour d’un comportement que l’on espère ne pas voir se produire, plutôt que de valoriser celui que l’on aimerait être le comportement référent.
C’est là que l’apport des sutras est intéressant, puisqu’il ne cherche pas à diaboliser le mensonge, mais plutôt à expliquer en quoi la vérité est importante pour un individu. Encore faut-il être capable de l’identifier…

Si la vérité est à la fois structurante dans notre rapport au monde et aux autres (étant intrinsèquement liée à la notion de réalité et à la communication), il ne faut pas oublier qu’elle est en retour nécessairement variable d’un individu à l’autre. Parce que la vérité s’inscrit dans notre échelle de valeurs, et que cette échelle varie d’un individu à l’autre. Pour expliquer ce décalage, la Programmation Neuro-Linguistique explique simplement que « la carte n’est pas le territoire ». Alfred Korzybski , fondateur de la sémantique générale, rappelle qu’il n’existe pas une seule manière de lire le monde (et donc une seule réalité) car la grille de lecture va s’élaborer de manière propre à chaque individu. Chacun construit sa représentation du monde en fonction de ses expériences passées, des stimuli filtrés par ses sens ; sa perception de la réalité (et par extension, la vérité) est donc en permanence subjective. Ajoutons à cela le concept d’Umwelt de Jakob von Uexküll et Thomas A. Sebeok (qui désigne l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu) et on se retrouve avec des myriades d’interprétations du monde qui nous entoure !

Donc si on résume, la vérité se rapporte à la réalité, et la réalité est subjectiveComme de l’eau de roche !

Revenons à nous moutons : « Celui qui est ancré dans la sincérité de ses actes verra le fruit de ses actions accompli » : Patanjali évoque la carte du monde propre à chaque individu. Deux subtilités rendent toutefois l’aphorisme bien plus riche qu’il pourrait n’y paraître de prime abord.
La première, c’est l’évocation de la sincérité de ses actes.
En effet, si l’on est habitué à évoquer la sincérité dans le dialogue, il est un peu plus rare, dans notre culture, de se demander si l’on agit dans le respect de son intégrité. Car se poser cette question, c’est finalement se demander si l’on est à l’écoute de notre petite voix intérieure, de notre intuition, ou plus simplement de ce qui est véritablement bon pour nous.
L’autre subtilité est le fait de considérer qu’en agissant avec intégrité, nous serions capable de récolter le fruit de nos actions. En des termes plus prosaïques, cela reviendrait à dire qu’écouter son intuition, agir en fonction de ce qui est bon et juste pour nous, permettrait d’accomplir notre destin ou, pour employer un terme plus yogique, notre dharma.

Pour cela, il faut que notre dessein soit totalement aligné avec l’ensemble de notre être : d’après Iyengar, la plupart d’entre nous pensent dire la vérité, mais celle-ci est causale, non intégrée et cellulaire. Par exemple, si nous disons « je ne mangerai plus jamais de chocolat » (ha ha ha ha ha), tant qu’une seule de nos cellules est rebelle et en désaccord avec les autres, notre succès est loin d’être assuré. Si l’intention déclarée est tout à fait sincère, sans qu’une seule cellule soit en désaccord, alors nous pouvons créer la réalité que nous désirons. Ce n’est pas notre esprit, mais la voix intérieure de nos cellules qui a le pouvoir de mettre en application nos intentions. Agir en accord avec sa vérité nécessite donc d’être capable d’être à l’écoute de sa petite voix, et de faire taire toutes les autres qui sont généralement moins constructives.

(fais pas semblant, tout le monde est plusieurs dans sa tête, tu n’y échappes pas…)

Et, d’après le chaman Don Miguel Ruiz (on n’a pas d’actions chez son éditeur, promis), cela commence dans le discours que l’on se tient à soi-même : toutes les critiques et jugements que l’on s’attribue en permanence (« je suis stupide », « je suis incapable », « j’ai mangé trop de cookies » etc etc.) polluent notre mental et nous empêchent d’être à l’écoute de notre intuition, de notre vérité. Il faut cesser de se demander ce que le monde attend de nous, et agir dans le respect de notre élan intérieur qui tente de nous diriger vers notre dharma, notre vérité, notre destin.

Bon, assez pour l’aparté. Si on résume bien, Satya c’est un peu :
Réfléchis avant de parler (de toute façon, à parler à tort et à travers on gaspille de l’énergie qu’on ferait mieux d’utiliser à autre chose – s’entraîner à Pincha Mayurasana – au hasard…) ;
Sois gentil et bienveillant (envers les autres mais aussi envers toi-même) ;
Sois honnête en toutes circonstances et avec tout le monde (sur le tapis, l’honnêteté, c’est simplement de reconnaître quand on force pour faire une posture qui ne nous convient pas, plutôt que d’accepter nos limites du moment).

Une fois Satya (à peu près maîtrisé, ou en cours de validation), tu gagnes le droit de poursuivre le jeu, en passant à l’étape Asteya ! (Youhou!)

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